Aujourd’hui je voudrais vous faire lire un extrait des Voyageurs Parfaits, que je me suis beaucoup amusée à écrire. La lecture prendra moins de 5 minutes.
N’hésitez pas à me faire vos retours ou à commenter ! 🙂

“Izumi avait débuté sa vie professionnelle en travaillant dans l’électronique, pour un institut biochimique. Ayant jusqu’alors consacré sa vie à sa carrière plutôt qu’aux femmes, il était parvenu assez rapidement à fonder une compagnie de construction de cartes mères pour ordinateurs. L’argent investi fut vite regagné, les bénéfices étant énormes, le marché en pleine expansion.

En cinq ans, il avait économisé assez d’argent pour vivre toute une vie, en ayant acheté la voiture de ses rêves, une splendide maison, un yacht, et en ayant donné à ses parents assez d’argent pour leur permettre de ne plus travailler.

Seule ombre au tableau : il avait trente- sept ans et il n’avait toujours pas d’enfant. Il avait attendu la femme idéale qui viendrait partager son morceau de paradis, mais elle n’était jamais venue.

Il s’était alors rendu compte que si l’argent pouvait presque tout acheter, il était incapable de lui offrir une femme parfaite. Izumi ne recherchait pas particulièrement l’amour, non, il souhaitait juste rencontrer une femme avec laquelle il ne lui déplairait pas de partager sa vie. Une femme qui serait intéressante, intelligente, belle et compréhensive, bref, à la hauteur de sa réussite. Une épouse parfaite pour une vie parfaite.

Il avait réfléchi : où pouvait-il rencontrer une telle personne ? Il observait la gent féminine autour de lui, mais il n’était jamais satisfait : trop riche ou trop pauvre, les yeux trop ou pas assez bridés, aucune assez fine d’esprit. Il en connaissait, à son bureau, mais la plupart étaient déjà mariées ou bien elles étaient déplaisantes. Et puis épouser une collègue l’emprisonnerait pour toujours dans le monde du travail.
Il en avait rencontrées d’autres, lors de sorties entre amis, mais elles étaient trop libertines et il pouvait déjà imaginer pareille femme le ridiculiser ou même le quitter. Il avait alors espéré qu’une rencontre fortuite, en pleine rue par exemple, lui donnerait satisfaction. Après tout, il devait y avoir plus de six millions de femmes qui habitaient ici, à Tokyo. Mais il avait finalement réalisé que celles qui sont des inconnues le restent à jamais.

Bref, au grand désespoir de ses vieux parents qui rêvaient depuis longtemps d’une bru, Izumi ne s’était jamais marié.

Ce dernier s’était alors rendu compte que ce qu’il désirait avant tout, ce n’était pas une épouse, ni une compagne, ni un être avec qui il pourrait assouvir ses désir sexuels, non, ce qu’il désirait, c’était un enfant.

Il avait mis au monde une entreprise, il avait pris en main sa vie, il avait fait fructifier son argent, il avait réalisé ses rêves et ceux de ses parents (enfin, presque)… Il ne lui manquait plus qu’à donner naissance à un enfant. Générer la vie, la plus belle création au monde, et la dernière qu’il voulait entreprendre.

Pour que cette ultime création soit réussie, Izumi se servit de son atout financier. S’il lui fallait trouver une femme, ce n’était pas pour vivre avec elle, mais pour qu’elle lui fasse un enfant, ce qui élargissait la palette de choix à sa disposition. Il fut pourtant aussi méticuleux dans le choix de la mère de son futur enfant qu’il l’avait été dans le choix d’une épouse, et finalement il ne trouva personne qui convenait et qui acceptait le marché. Les jeunes femmes voulaient toutes garder leur enfant, ou bien avoir un droit sur lui, ce qui était hors de question.

Il ne se découragea pourtant pas. Célibataire endurci, il se regardait tous les matins dans son miroir : il s’imaginait voir un fils de vingt ans dont il serait très fier. Son fils serait celui qui perpétuerait son image, il fallait donc qu’il soit parfait. Il se résolut : aucune femme ne le satisferait, il le savait.

Izumi réalisa alors que ce dont il avait besoin dans une femme, ce n’était que d’un ovule.

Un autre aurait ri à cette idée, mais lui, il avait l’argent pour tenter l’expérience, et les hautes technologies permettaient tout. Il employa les grands moyens dans cette dernière requête qui l’obsédait totalement, et il dépensa une partie de sa fortune à étudier les meilleurs ovocytes des cliniques japonaises. Il demandait une analyse ADN de chaque ovule, pour déterminer ses qualités et ses défauts : l’ovule devait être fort, beau, et intelligent.

Les recherches se poursuivirent sur plusieurs années. De son côté, il suivait un traitement intensif pour rendre ses spermatozoïdes plus performants. Enfin, le moment vint. Une clinique lui proposait le meilleur ovule jamais reçu. Il n’hésita pas une seconde. Kanzen fut le premier bébé éprouvette né de l’amour d’un homme pour lui-même et pour son argent.

L’anonymat de la mère fut gardé. Kanzen avait fait le bonheur de son père, qui était comblé à sa seule vue. Peu importait ce que faisait son fils, il était parfait, et il l’avait mis au monde tout seul.

A quinze ans, Kanzen apprit qu’il était un bébé éprouvette. Il ne fut aucunement surpris. Son père était indifférent aux femmes, il le voyait bien : trois nourrices vivaient chez eux, mais elles avaient été uniquement choisies pour ne pas qu’il soit élevé dans un univers monoparental. Il avait même acheté des poupées mécaniques. Kanzen avait toujours été impressionné. Son père leur parlait, et elles bougeaient les yeux ainsi que la bouche, qui semblaient réels, mais elles ne répondaient pas. Elles n’étaient pas humaines.

Kanzen se prit de passion pour le cyber monde. Comme son père, il était fasciné par les progrès de la réalité virtuelle, qui permettait d’observer l’évolution des mécanismes corporels, de manipuler à distance des molécules ou bien de répéter des opérations chirurgicales.

Néanmoins, ce qui l’intéressait le plus dans tout cela, c’était le monde du jeu virtuel. Il fit des études d’ingénieur en informatique, payées par son père, qui lui donnait également de quoi s’offrir tout ce dont il désirait.

A vingt-et-un ans, il était déjà plus riche, sans travailler, que ne l’étaient de nombreuses familles japonaises. Il avait été habitué à vivre avec de l’argent, grâce auquel, par ailleurs, il avait vu le jour. Il passait tout son temps libre à se connecter en réseau sur des jeux en temps réel. Il aimait se plonger dans le monde virtuel, qui tout en étant très proche de la vérité, lui permettait de vivre des aventures qui contrastaient avec la vie trop facile qu’il avait.

Dans le monde numérisé, Kanzen avait la possibilité de se construire une autre vie plus héroïque, qu’il ne devait qu’à lui-même, et non pas à son père. Car c’était bien cela qui l’empêchait de dormir tranquillement la nuit, et qui le poussait à jouer : son père était trop présent, trop parfait, et il l’oppressait en le forçant à suivre ses pas à lui, ou en décidant à sa place.

Non pas qu’il n’aimait pas son père, non, il avait pour lui le plus profond respect et la plus grande admiration. Mais il voulait être différent, se démarquer de lui, voler de ses propres ailes. Il s’immergeait pendant des journées et des nuits entières dans un décor où tout était possible, où il était l’égal des autres, où il ne partait pas avec la renommée de son père qui le devançait.

Il voyageait, à travers l’écran, des Etats-Unis à la France, de l’Italie à la Corée, de l’Australie à la Grande-Bretagne. Il visitait les plus beaux paysages du monde : le grand canyon en Arizona, les volcans d’Hawaï, la statue de la liberté de New York, le château de Versailles, le Mont Saint- Michel, le centre ville de Florence, la lagune de Venise, les étendues sauvages de Tasmanie…

Il revivait les grands moments historiques : Napoléon Bonaparte à Waterloo, la Révolution Américaine, la construction de la Grande Muraille de Chine…

Il avait été un bushi, à genoux sur une natte de paille, se donnant la mort pour son seigneur. Il avait trouvé un fossile de tricératops à Riversleigh. Il avait été rescapé du désastre de la bombe atomique à Hiroshima. Il avait vécu tout cela, oui. Virtuellement.”

[…]

Les Voyageurs Parfaits
Chapitre 3