Deux minutes de lecture, avec cet extrait d’un des premiers chapitres des Larmes du Lac qui pose les différents éléments du récit : le lac mystérieux et les personnages.

Le pub ferma ses portes. Je rentrai au 7 Lochan Wynd avec mes nouveaux compagnons.

Mathieu était petit et gringalet, fier de son pays natal. Ses cheveux bruns mal coiffés lui donnaient un air d’Einstein. La porte d’entrée n’était pas fermée à clé et comme je m’en étonnais, il m’expliqua qu’ils laissaient toujours la porte ouverte. Je demandai pourquoi, mais il était déjà parti chercher une bouteille de vin. Je m’assis sur les marches devant l’entrée, avec Alex et William.

Mathieu revint bientôt.

« Mais c’est infect ! m’exclamai-je, après avoir trempé mes lèvres dans le verre qu’on me tendait.
– Et oui, mais, Anne, on n’est pas en France. Ici, il n’y a pas mieux », m’expliqua Mathieu.

C’était du vin californien. Je n’en avais jamais bu auparavant. Je fus contrainte de parler anglais, pour que William et Alex puissent comprendre. Le vin rendait les mots plus coulants, les choses plus faciles à saisir. Malgré tout, j’étais frustrée d’avoir encore tant de mal à dire ce que je voulais en anglais. Les mots se bousculaient dans ma tête… Parler anglais était presque exotique, pour moi ; cela me donnait la sensation d’oublier les choses qui m’étaient arrivées en français.

Il se faisait tard, et je décidai d’aller me coucher. Comme je passais près de lui, Alex m’attrapa le bras :

« Ne verrouille pas la porte de ta chambre. »

Je fis un rêve étrange et intense, qui me laissa troublée à mon réveil. Je rêvai que je marchais sur l’eau, nue, et que sous mes pieds se reflétaient des nuages blancs. Je savais que c’était moi, mais je n’avais plus la même apparence : j’étais blonde et très blanche, les cheveux longs. Derrière moi, je sentais une présence, je n’étais pas seule, mais en me retournant, je ne voyais personne, seulement des arbres. En me penchant sur la face du lac, mes cheveux s’allongèrent pour toucher l’eau, et à ce moment je devins translucide puis liquide, jusqu’à me fondre avec le lac. Depuis le fond des eaux, sans pouvoir en sortir, je voyais des personnes passer près du bois, me chercher sans me voir. Mes cheveux flottaient devant mes yeux, tout autour de moi je sentais le poids de l’eau, et soudain quelque chose me prit la main, je me retournai et je vis Lara, âgée de quatre ou cinq ans, qui me souriait.

Je me réveillai en sueur, la bouche pâteuse, le cœur battant à tout rompre. Je ne reconnaissais pas la pièce. Où étais-je ? Après quelques secondes qui me permirent de reprendre mes esprits, je me levai et tirai le rideau de la fenêtre. Là-bas, je pouvais distinguer le lac derrière l’épais brouillard, avec les grandes ombres des arbres qui se dessinaient tout autour.

J’avais besoin d’air, j’ouvris la fenêtre. De minuscules gouttes fraîches vinrent brumiser mon visage. Cela faisait du bien. J’entendis quelques corbeaux croasser, leur cri se répercutant dans tout le paysage. Le soleil n’était pas encore levé, mais le jour commençait à poindre, diffusant une faible lumière.

Mon regard tomba soudain sur une silhouette qui s’éloignait doucement du lac. Quelle idée de se promener de si bonne heure ! Un retour de soirée bien arrosée ? Je plissai les yeux pour y voir plus clair : c’était une jeune femme en robe de chambre, aux cheveux longs. Peut-être était-elle somnambule ? Elle finit par sortir de mon champ de vision. Je refermai la fenêtre et retournai dans le lit, mais je n’arrivais pas à me rendormir.

Les minutes me semblaient interminables. Le temps me paraissait si long depuis que j’avais perdu mon bébé… La nuit, j’attendais sans savoir quoi. J’ouvris Hamlet et tentai de lire, sans y parvenir : les mots n’avaient aucun sens sous mes yeux. Enfin, j’allumai la télévision et la regardai d’un œil vide.

[…]

Les Larmes du Lac
Chapitre 3